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Véronique Tadjo ! Si vous êtes ancien sur mon blog, vous savez combien je l’aime, sa plume encore plus. Sauf que, j’ai eu beaucoup de mal à lire ce livre dont je m’en vais vous parler. J’ai conclu qu’en fait, il ne se lisait pas. Champs d’Amour et de Bataille se médite. Ce livre vous contraindra à ralentir votre débit de lecture. Recourir à vos sens, interroger vos connaissances. Au delà de tout, vos certitudes en seront quelque peu bousculées.
Ce roman de Tadjo est un regard critique porté sur l’amour entre deux personnes, Eloka et Aimée. Lucide et profondément franc. Je considère ce livre comme un microscope de la vie en couple mais pas que.
Zoom sur ce premier aspect. La vie en couple finit par imprimer des traces indélébiles dans l’âme. Aimée et Eloka s’aiment mais découvrent les montagnes russes de l’abandon de soi à l’autre. Chacun d’eux a une idée relativement floue du mal être qui est le leur. Mais, fait remarquable, ils ne s’accusent, ni ne se déchirent.

Dans le même temps cela produit l’effet pervers de les isoler. Au lieu de former un, ils redeviennent deux êtres qui tentent de se retrouver soi-même. “Elle savait maintenant qu’il lui faudrait maintenant plus de cent ans pour réapprendre à vivre seule, pour retrouver l’art de la solitude. Elle avait perdu ses ailes au contact d’Eloka et elle se sentait fragile, vulnérable comme si elle avait mis la plus grande partie de sa destinée entre ses mains.” Page 37. C’est malheureusement le témoignage de plusieurs personnes en couple.
Le rapport des citadins à l’environnement et la nature
L’environnement est un élément fondamentale et omniprésent dans le texte. Il est presque comme un personnage à part entière. Il se fait non seulement présent mais aussi imposant qui influence la vie des habitants de la ville. L’environnement est amplifié comme pour rappeler à la mémoire du citadin combien son bien-être en dépend. Sa vie aussi.
Par endroit, on aurait dit que la nature punit sévèrement la ville et ses habitants pour délit de négligence. Voir page 24, extrait : … surtout détourner la tête, ne pas chercher à regarder le vent en face car la poussière punissaient les curieux et les effrontés… De fait, 10 pluies consécutives étaient nécessaires avant que la nature ne parvînt à calmer sa soif et que la touffeur n’acceptât de s’éloigner pour quelques jours.”
J’ai sélectionné pour vous des passages d’une beauté exceptionnelle.
“la mère se meurt, ancrée pour toujours à l’absence du temps. Une bouche fermée, verrouillée par des lèvres usées, ne laissant même plus apparaître ni les dents, ni la langue, mais cette volonté butée de refuser toute nourriture écrasée contre la barrière de ses gencives-boucliers.
la mère se meurt. Et elle est comme un arbre desséché dont on attend la chute tout en la redoutant. On dirait qu’elle a décidé de ne plus coopérer avec l’existence, murée en elle même pour commencer son départ.
Voir aussi Douleur Intime, Fatou Diomandé.
Bienvenue dans l’univers de Véronique Tadjo où il n’y a plus de frontière entre le roman et la poésie. Ce passage a résonné dans mon cœur comme un chant d’adieu.

Véronique Tadjo est grand prix littéraire d’Afrique Noire (distinction obtenue en 2005). Champs de Bataille et d’Amour, 175 pages, a été édité conjointement par Nouvelles Editions Ivoirienne et Présence Africaine.
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